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Je suis un HIKIKOMORI Chapitre 2 (partie 5)

Au bout de deux heures, nous descendons au salon avec Nolan. Ses parents n’en croient pas leurs yeux. Nolan a accepté de sortir de sa chambre, il sourit. Nous énonçons nos objectifs à ses parents. Nolan doit diner tous les soirs avec ses parents et essayer peu à peu de retrouver un cycle de sommeil nocturne. Nous sommes jeudi. Nous fixons un rendez-vous pour le lundi suivant. Il nous semble primordial de le voir de façon rapprochée afin que la motivation de départ reste effective.

Le lendemain, Mme X me téléphone. Sa voix est vive. Elle me signale que Nolan dine avec eux comme convenu (ce qui permet de travailler le lien avec la famille, la réadaptation à certains repères horaires et l’alimentation). Le cycle de sommeil est plus compliqué, mais il essaie et surtout, il dialogue avec eux sans agressivité. Elle ne sait pas comment nous remercier. Nous lui conseillons d’attendre un peu pour voir comment cela se passe dans la durée.

Lors de notre deuxième rencontre, Nolan nous attend tout sourire dans sa chambre dont la porte est grande ouverte. Il confirme les dires de sa mère. Nous discutons un peu ensemble. En accord avec lui, nous réaffirmons les deux premiers objectifs, auxquels nous rajoutons celui de sortir de la maison. Nous lui demandons d’aller se renseigner sur les horaires de la bibliothèque municipale située à 200 mètres de la maison, directement sur place. En parallèle, un défi est lancé entre Nolan et Medhi sur un match de tennis de table, une autre occasion de faire sortir Nolan ! Nous fixons un nouvel entretien au vendredi de la même semaine.

Lorsque nous arrivons le vendredi, Mr X et sa chienne nous ouvrent. Nous lui demandons des nouvelles. Il nous explique que le cycle de sommeil est difficile et qu’il empiète sur le reste. Du coup, Nolan dort lors de certains diners et ne se lève pas pour venir rejoindre la famille. Par contre, il nous explique aussi que Nolan est sorti faire une heure de vélo tout seul. À nouveau, nous retrouvons Nolan dans sa chambre. Il semble nous attendre. Nous faisons le bilan des 3 jours qui viennent de s’écouler. Nolan confirme les propos de son père. Nous lui demandons pourquoi il ne se lève pas pour aller diner. Il répond que même s’il programme son réveil, il ne l’entend pas et qu’il rouspète si ses parents viennent le réveiller. Nous lui demandons s’il souhaite de l’aide dans cette démarche. Il répond par l’affirmative. Nous actons alors que s’il ne descend pas diner de lui-même, l’un de ses parents peut venir le réveiller sans qu’il ne râle en retour. Il accepte. Nolan nous prouve aussi, fier de lui qu’il a rempli sa mission en se rendant à la bibliothèque mais sans oser y rentrer. Pour notre rendez-vous suivant nous lui demandons de rentrer dedans et d’aller vérifier s’il y a des mangas intéressants à emprunter. Il accepte également. Nous commençons à parler projet et orientation avec lui, en le rassurant et en expliquant que nous avons bien compris qu’il ne voulait pas retourner au collège. Nous lui parlons de centres d’intérêt, nous restons vagues pour ne pas l’affoler mais nous évoquons tout de même la question. Enfin, nous lui apprenons que nous nous sommes organisés avec des partenaires afin de prévoir le match de tennis de table Mehdi/Nolan, pour avoir accès à une table. Et que cette rencontre aura lieu le mercredi suivant.

Date : 2022-06-25 00:00:00

Par : valerie

Je suis un HIKIKOMORI Chapitre 2 (partie 4)

Je rejoins Medhi dans la chambre et referme derrière moi. Nolan bénéficie d’une belle chambre d’au moins 15m2, composée d’un grand placard, d’un lit deux places, d’un petit canapé et d’un grand téléviseur. Medhi est assis sur le canapé. Nolan est recroquevillé dans son lit, caché sous sa couette, la tête rentrée dans son pull. Impossible de voir à quoi il ressemble. La tension est palpable entre eux. Je m’assoie sur le lit près de Nolan pour me positionner physiquement entre eux. J’entame le dialogue, Medhi prend de la distance. Il était entendu entre nous, qu’il ferait le « méchant » et moi la « gentille ». Nolan ne refuse pas le dialogue mais il reste prostré dans son lit. Peu à peu je vais au contact physique avec lui, lui expliquant qu’il va étouffer sous ses couvertures. Je lui porte de l’intérêt, je l’interroge sur ses passions (quelques posters et livres mangas me donnent des indices). Medhi reprend une place dans le dialogue et nous conversons à 3. Pendant ce temps, je me rapproche de Nolan et parvient à lui faire sortir la tête des draps même s’il reste caché dans son pull. Il nous explique qu’il ne se trouve pas beau et qu’il ne veut pas se montrer. Ses cheveux dépassent. Je les caresse entre mes doigts. Nolan se détend, il m’avoue rapidement que « j’aime bien ça, maman me le faisait avant ». Au fur et à mesure du dialogue, Nolan nous répond de plus en plus précisément. Je poursuis mes gestes « maternels ». Nous décidons de jouer à nous décrire sans nous avoir vu. Nolan nous décrit, et c’est une crise de rires quand il imagine Medhi avec le crâne rasé alors que celui-ci porte de longues dreadlocks. A notre tour, nous essayons de décrire Nolan qui doucement, avec d’infimes précautions accepte de sortir de son pull et de nous montrer son visage.

A partir de ce moment Nolan s’assoit sur son lit et notre première rencontre prend une autre tournure. Il dialogue avec nous, sourit même et accepte de nous expliquer comment s’organise sa vie. Il ne va plus et ne veut plus retourner au collège. Il n’a plus d’amis, aucun contact avec des pairs si ce n’est une jeune fille qu’il a rencontrée en vacances, il y a 3 ou 4 ans et avec qui il communique par texto. Ses parents lui ont retiré sa console de jeux mais lui ont laissé son téléphone portable. Il se couche vers 11h du matin et dort le jour car il regarde des films et des jeux sur son portable, la nuit. Il ne croise quasiment plus ses parents. Il saute très souvent les repas et n’est pas très épais. Il ne sort presque pas de sa chambre et encore moins de sa maison. Il dessine un peu mais n’a pas d’autres activités. Nous lui demandons précautionneusement ce qui s’est passé dans sa vie pour qu’il en soit arrivé à cette situation. Il répond qu’il a un secret mais qu’il ne nous le dira pas. Nous lui répondons que c’est normal qu’un secret ne se livre qu’à des personnes de confiance et que nous ne nous connaissons pas. De notre côté nous lui expliquons la raison de notre présence. Nous lui signifions que ses parents sont extrêmement inquiets, que nous avons vu sa mère pleurer en parlant de lui, que ce qu’il vit est anormal, que ses parents ne sont pas éternels et qu’il doit se construire peu à peu pour assurer sa vie d’adulte. Nolan entend tout ce que nous lui disons. Il comprend mais il ne sait pas comment faire. Lui aussi est perdu, désocialisé, vivant non seulement en dehors de la société mais aussi en dehors de son système familial. Nolan accepte notre aide. A partir de là nous lui fixons de petits objectifs.

Date : 2022-06-24 00:00:00

Par : valerie

Je suis un HIKIKOMORI Chapitre 2. (Partie 3)

Trois jours plus tard, Mme X m’appelle. L’intonation de sa voix est plus enjouée. Elle m’annonce que Nolan a été mis au courant de notre existence et de notre venue par son mari. Mme X est inquiète car quand elle a croisé Nolan qui lui a rétorqué : « Tu peux te les mettre au cul tes éducateurs ! ». Mme X souhaite être honnête avec nous en nous livrant ceci, mais nous demande anxieusement si l’on annule le rendez-vous. Nous n’annulons pas, mais nous lui rappelons une fois de plus notre principe de libre-adhésion : « Nous rencontrons Nolan une fois et s’il refuse ensuite de nous revoir, nous arrêterons ».

Lorsque nous arrivons au domicile la première fois, les parents et la sœur ainée se trouvent au rez-de-chaussée de la maison. L’ambiance transpire l’anxiété. La chienne aboie et ne nous connait pas. « Pour qu’elle se calme et vous accepte, il faut la caresser » nous dit Mr X. Mince, j’étais déjà embêtée de voir un chien quand je suis arrivée, je ne vais tout de même pas être obligée de le toucher ! Et oui, je suis extrêmement allergique aux animaux à poils. Et je n’ai pas d’antihistaminique sur moi ! Je joue la carte de la transparence. Très peu pour moi, je suis allergique aux chiens, il va falloir qu’elle se calme sans moi ! Heureusement Medhi joue le jeu et s’en charge pour deux.

Nous nous sommes mis d’accord en amont entre collègues pour forcer un peu la rencontre avec Nolan, en ne lui laissant pas trop le choix de nous voir aujourd’hui. Nous souhaitons qu’il puisse prendre une décision éclairée de nous revoir ou pas. Le papa nous indique sa chambre. Elle se situe sur un minuscule palier, au premier étage, face à la salle de bain. Nous lui parlons d’abord derrière la porte mais il refuse d’ouvrir. Nous restons 10 minutes à parlementer ainsi. Les parents sont angoissés, ils vont et viennent dans les escaliers. A un moment je demande au papa s’il a un double de la clé. Il me répond que la chambre n’est pas fermée à clé mais que Nolan positionne son lit derrière la porte pour bloquer l’accès. Medhi décide alors de forcer. Il pousse la porte, le lit bouge et il parvient à rentrer. Il hausse le ton et commence à solliciter activement Nolan. Je suis toujours sur le palier avec les parents. Ils écarquillent les yeux en entendant mon collègue hausser le ton dans la chambre. Je leur demande de redescendre au salon et de nous faire confiance. Ils s’exécutent. En agissant de la sorte, Medhi souhaite montrer à ce jeune, qu’il n’est rien sans sa famille. Il voulait lui prouver que même caché dans son lit, il est vulnérable et qu’il doit réagir.

Date : 2022-05-27 00:00:00

Par : valerie

Je suis un HIKIKOMORI - Chapitre 2. (Partie 2) :

Dès le lendemain, je reçois un appel téléphonique de Mme X. Elle se présente et me dit qu’elle appelle sur le conseil de la CPE pour son fils. Elle perçoit en moi une oreille attentive et en profite pour me livrer déjà de nombreux éléments d’inquiétude. Alors que nous ne nous connaissons pas, elle s’abandonne, elle déverse ses angoisses et son désarroi. Je prends le temps de l’écouter. J’essaie de rassurer par mes mots, par l’intonation de ma voix, par le temps que je lui accorde. Dans la réactivité et la souplesse, nous parvenons à prendre un rendez-vous rapide pour la semaine suivante, rendez-vous pendant lequel nous ferons connaissance tous les 4 : le couple, mon collègue et moi-même. Cependant, Mme X me rappelle 2 heures après, en pleurs. Elle sort d’un rendez-vous à la guidance infantile où elle a rencontré un pédopsychiatre. Il s’agit du deuxième rendez-vous avec ce docteur , mais jamais Nolan n’a accepté de l’y accompagner. Le docteur lui a annoncé que cela ne servait à rien qu’elle vienne sans lui et qu’il fallait libérer le créneau horaire pour un autre enfant. Elle me livre alors : « Tous les professionnels que je rencontre me disent qu’il faut que Nolan vienne aux rendez-vous , mais Nolan ne sort plus de la maison, alors que va-t-il se passer si personne ne rencontre jamais Nolan ? » Je lui réponds alors que nous, éducateurs, avons cette possibilité de nous déplacer à domicile et que l’on rencontrera Nolan. Elle s’excuse et parvient à dire qu’elle est désolée de me déranger alors que nous ne nous connaissons même pas, mais elle ne savait pas qui appeler, vers qui se tourner, elle est perdue.

La semaine suivante, le couple vient nous rencontrer dans notre local, situé dans la commune voisine de leur ville de résidence. Nous voyons arriver un père et une mère épuisés. Ils nous racontent comment Nolan s’est peu à peu renfermé sur lui puis isolé dans sa chambre où il passe 90% de son temps. Il leur dit à mi- mots que l’élément déclencheur a eu lieu au collège, mais refuse de dire quoi. Il s’est réfugié dans les jeux vidéo. Les parents l’ont accompagné à une permanence jeune, contre les addictions. Nolan nous dira plus tard, qu’il lui a semblé n’entendre qu’une leçon de morale qu’il connaissait déjà. Il mange peu et est très maigre. Il vit la nuit et dort le jour. Il est très agressif avec ses parents ainsi qu’avec sa sœur ainée. Il ne partage plus rien avec sa famille sinon les murs. Ce couple nous avoue qu’ils ont tout essayé : colère, contrainte, négociation, compréhension… Rien n’y fait, Nolan s’enfonce dans son isolement. Mme X verse des larmes, elle n’en peut plus. Elle doute aussi de notre proposition éducative : « Et s’il ne veut pas vous voir ? ». Mme X nous dit qu’elle a cessé de dialoguer avec son fils : « Je n’y arrive plus ». Mais le père, d’un premier abord plus discret, dit qu’il ne lâche pas et continue d’aller lui parler. Nous confions donc la mission à Mr X de trouver le bon moment pour parler de nous à Nolan et de lui dire que nous allons venir le rencontrer chez lui.

Date : 2022-05-24 00:00:00

Par : valerie

Je suis un HIKIKOMORI - Chapitre 2. (Partie 1) :

Pour des raisons d’anonymat et de respect de la vie privée, les prénoms et noms des usagers et partenaires ont été modifiés.

C’est alors que les éducateurs voient arriver vers eux des parents à bout de force, épuisés par la situation et eux-mêmes presque dépressifs.

J’ai choisi de vous raconter ici l’histoire de Nolan, histoire vraie, histoire vécue qui est à elle-seule une vignette clinique criante de vérité de ce qui est visible sur le terrain.

Je m’appelle Valérie, je suis éducatrice spécialisée depuis 26 ans. A lépoque de cette histoire, je travaille avec un collègue que nous appellerons Medhi, lui-même éducateur spécialisé depuis plus de 30 ans. Nous travaillons alors en prévention spécialisée sur un même secteur depuis 6 ans (d’abord en milieu rural puis en milieu urbain). Nous avons appris à nous connaitre professionnellement et avons fait le choix de travailler en binôme. Nous sommes extrêmement complémentaires.

À la rentrée des vacances de la Toussaint, nous sommes interpellés par Lindsay, la CPE d’un collège que nous connaissons bien et avec lequel nous travaillons depuis 4 ans. Cette CPE termine sa formation sur un poste dit de « stagiaire CPE » et n’est pas encore titulaire. C’est donc un poste qui change chaque année et qui se voit attribuer un nouveau candidat à chaque rentrée de septembre. Lindsay ne nous connait pas en début d’année et met donc un certain temps à nous contacter au sujet d’un jeune qui l’inquiète.

Lors de notre rencontre, Lindsay nous parle de Nolan. Il s’agit d’un jeune de 15 ans ½ qui redouble sa 3ᵉ cette année. Il a été très absent l’année dernière et recommence à nouveau cette année. Les parents Mr et Mme X, en particulier la mère, ne sont pas fuyants vis-à-vis du collège et répondent aux sollicitations de la CPE. Ils viennent au rendez-vous, se sont rendus à la commission absentéisme. Ils demandent de l’aide et ne savent plus comment s’y prendre. Lindsay nous annonce aussi que Mme X appelle le collège chaque lundi pour prévenir et excuser l’absence de son fils pour toute la semaine. L’autre CPE, elle en poste depuis plusieurs années au collège, connait aussi ce jeune. Elle le décrit comme n’étant pas un élève très brillant , mais pas non plus en difficultés. Elle ajoute qu’il avait un réseau d’amis et ne semblait pas se trouver en situation de harcèlement ou plus généralement de souffrance au collège. Le collège est prêt à envoyer une information préoccupante à la CRIP (Cellule de Recueil des Informations Préoccupantes) mais Lindsay souhaite apporter son aide à cette famille. Nous proposons à Lindsay de parler de nous aux parents, de leur donner nos coordonnées afin qu’ils nous appellent.

Date : 2022-05-23 00:00:00

Par : valerie

Je suis un HIKIKOMORI - Chapitre 1. (Partie 3) :

L’invisibilité sociale, un concept en plein émergence
L’ONPES (« L’invisibilité sociale : une responsabilité collective », ONPES, rapport 2016) donne la définition suivante de l’invisibilité sociale : « un ensemble de processus, où interviennent des acteurs multiples par lesquels un déni de reconnaissance des personnes aux divers niveaux de leur existence sociale peut affecter la profondeur, la durée et l’évolution de situations de pauvreté et d’exclusion. » Il s’agit donc d’un processus par lequel un individu se retrouve progressivement en rupture de liens. Le manque s’estime de soi, la honte, les difficultés diverses poussent peu à peu cette personne à se renfermer sur elle , mais aussi chez elle jusqu’à ne plus sortir. Ce repli conduit progressivement à s’effacer de la scène publique et à se marginaliser.

« La rupture graduelle des différents liens, engendre une retraite physique de l’espace public où l’individu se montre de plus en plus rarement jusqu’à sortir de chez lui uniquement par nécessité ; mais aussi un repli psychologique généré par un sentiment de honte, de frustration, de perte d’estime et de confiance. La solitude est alors une conséquence de ce processus de mise à distance et d’isolement. La solitude, à son tour, peut générer un état de souffrance psychologique allant de la dépression à la tentative de suicide. Les pouvoirs publics soulignent particulièrement cet état de fait chez une partie de la jeunesse française. Comme nous l’avons vu précédemment, celle-ci semble avoir perdu confiance en l’avenir, dans le pays, dans les adultes. » (Valérie DUBOIS ORLANDI « Les jeunes invisibles des zones rurales, du non recours à l’invisibilité sociale », mémoire DEIS, 2017)

La famille : lieu d’expression des solidarités ?
Le concept de familialisme d’Olivier Schwartz (Olivier SCHWARTZ, « Le monde privé des ouvriers. Hommes et femmes du Nord », Paris, PUF, 2012, p90, in Agnès ROCHE, « Des vies de pauvres, les classes populaires dans le monde rural », Presses Universitaires de Rennes, 2016) trouve ici tout son sens. Alors que des effilochements progressifs et/ou des ruptures plus brutales apparaissent dans la vie de certains jeunes, le milieu familial, quelle que soit son origine socio-culturelle, reste le lieu d’expression de la solidarité. La cellule représentée par la famille devient un bouclier contre l’extérieur perçu comme néfaste. Le rôle de chacun est légitimé à l’interne par l’intimité de la vie de famille, même lorsque l’un des acteurs est défaillant.

Dans cette situation, les jeunes vont peu à peu montrer des troubles du sommeil, de l’alimentation, une extrême fatigabilité, une incapacité à prendre des décisions, parfois même vont tomber dans certaines addictions. Ils vont manquer les courts de plus en plus fréquemment, d’ailleurs souvent excusés et cautionnés par leurs parents inquiets et présents. Les troubles et symptômes vont être de plus en plus habituels. Les jeunes ne se rendent plus au collège, plus au lycée, ne participent plus aux activités extra scolaires, s’excluent de leur groupe d’amis, les liens se délitent, ils ne sont plus invités aux évènements organisés par leurs pairs. En parallèle, la plupart des parents passent par une phase de compréhension. Ils excusent leur enfant et cherchent à l’aider à travers le réseau, le médecin de famille, des activités extra-ordinaires. Ils cautionnent ses absences et cherchent un psychologue parce que les choses s’aggravent. Ils se montrent de bonnes volontés et se rendent aux convocations du collège. Ils disent peu à peu qu’ils ne comprennent pas, qu’ils ne comprennent plus, que la situation leur échappe. Ils se mettent en colère et forcent leur fils/fille à se lever, à sortir, à aller en cours, mais les résultats sont insignifiants au regard de l’énergie à déployer dans ce cas, et ils abandonnent peu à peu. Le lien se délite entre enfant et parent, ils ne se parlent plus, se côtoient et cohabitent presque sans regard les uns pour les autres.

Les parents concernés par des enfants de ce type ne savent plus vers qui se tourner. Les établissements scolaires, de leur côté, remplissent les démarches administratives nécessaires au signalement de l’absence de ce jeune qui ne vient plus, mais n’auront pas d’impact sur sa situation… Les guidances infantiles et autres dispositifs proposant une prise en charge psychologique voudront rencontrer le jeune dans leurs locaux, jeune qui ne sort plus et qui ne s’y rendra pas…. Les différents dispositifs et services d’aide éducative sont acculés par les demandes et ont souvent plusieurs mois d’attente avant une prise en charge effective ; de plus, certains priorisent la prise en charge de jeunes enfants, les adolescents n’étant pas prioritaires. Quand bien même, la prise en charge dans ces cas peut être refusée sous prétexte que le jeune n’est pas en danger (puisque chez lui !) et ne met personne en danger (puisque chez lui !).

Date : 2022-05-22 00:00:00

Par : valerie

Je suis un HIKIKOMORI - Chapitre 1. (Partie 2) :

Un profil accentué en milieu rural
Si bon nombre de jeunes urbains sont , eux aussi, concernés par cet isolement psychologique, ce profil est encore plus présent dans les zones rurales. Contrairement à leurs pairs urbains, les jeunes ruraux ont tendance à vivre leur situation passivement et silencieusement. Nicolas Renahy dans son livre (« Les gars du coin. Enquête sur une jeunesse rurale ») explique que : « Contrairement aux enfants des banlieues urbaines, ils ont « souffert en silence », oubliés, presque invisibles[1] ». En effet, les zones rurales, de par, l’éparpillement de l’habitat, constitue un terreau fertile à la dispersion des problématiques et à l’émiettement des solidarités.

« Ils [les territoires ruraux] ont pour caractéristique de cumuler les handicaps : faible densité de population, faibles revenus, vieillissement, manque d’équipements et de services, auxquels s’ajoutent l’éloignement et l’enclavement géographique. » (Céline ROUDEN, « Les nouveaux déserts français », journal La Croix, 2014)

Certaines problématiques sont propres aux espaces ruraux tels que :
- l’isolement géographique
- l’isolement psychoaffectif ou sentiment de solitude
- les difficultés d’accès aux soins, aux droits, à la formation, à la culture, à l’emploi
- le poids des traditions locales
- une opacité à voir et ce qui peut se jouer de grave dans certains cercles familiaux

Le système scolaire : une responsabilité propre ?
Il est d’autant plus étonnant que ces jeunes qui s’isolent le font de plus en plus tôt et sont de plus en plus jeune. Des jeunes marginalisés et sortis du système scolaire sans diplôme, la société en a toujours connu. Mais les jeunes jusque-là scolarisés, qui n’ont pas atteint 16 ans et qui s’auto-excluent du système, sont de plus en plus nombreux. Le décrochage scolaire est le premier indicateur de cette exclusion. Les jeunes seraient de moins en moins nombreux à quitter le système de formation sans diplôme (80 000 en 2017 contre 140 000 en 2010). La lutte contre le décrochage scolaire est inscrite comme un enjeu de cohésion sociale. Différents dispositifs ont vu le jour ces dernières années. Mais ces procédés ne peuvent plus être efficaces quand le jeune a disparu, quand il s’est effacé du système, quand plus rien ni personne ne parvient à le raccrocher, bref quand il est devenu invisible.

De plus, l’organisation des établissements scolaires tel qu’il est proposé aujourd’hui ne permet pas un repérage en amont des jeunes présentant un profil « déprimé » ou dirons-nous, de souffrance silencieuse. La plupart des collèges sont d’énormes ensembles où l’on rassemble tous les jeunes (ou presque) d’une même génération. Ils y passent la majorité de leur temps, y vivent, y partagent des moments plus ou moins intenses, le tout agrémenté de chaque problématique individuelle, plus ou moins grave, plus ou moins accompagnée des changements physiologiques et psychologiques prégnants à la période de l’adolescence. Les directions de leur côté se voient acculées de toujours plus de missions obligatoires pour lesquelles elles n’obtiennent pas de moyen supplémentaire (ainsi je pense ici à la mise en place des CESC, GPDS, aide aux devoirs, etc.). Leur personnel d’éducation, bien que souvent de bonne volonté, est peu nombreux et non formé. Les postes d’infirmière et d’assistantes sociales scolaires ne sont pas tous pourvus, sans compter les collèges et lycées qui de toute manière n’ont pas de poste attribué. Les jeunes qui expriment leurs difficultés par des problèmes de comportements violents et/ou déviants attirent l’attention sur eux. En résumé, un ensemble d’éléments favorisant le glissement progressif de ces jeunes en souffrance silencieuse dans l’oubli. Ce sont finalement leurs absences répétées puis continues qui vont alarmer les adultes et leur coller l’étiquette de décrocheurs, mais il sera déjà trop tard.

Date : 2022-05-21 00:00:00

Par : valerie

Je suis un HIKIKOMORI - Chapitre 1. (Partie 1) :

Quand la manifestation de la souffrance adolescente change de nom : de la rébellion à l’isolement

Des conséquences intergénérationnelles ?
Les adolescents d’aujourd’hui sont les petits enfants des soixante-huitards. Cette première génération cherchait la transformation de la société par la pacification, l’émancipation et la liberté de penser. Leurs propres enfants ont été élevés dans la négociation où la parole de l’enfant est primordiale, où ses choix sont entendus, où son avis compte, où tous les aspects de sa personnalité sont respectés voire encouragés. Et à leur tour, ceux-là ont suivi ce schéma pour leurs enfants. Cependant le contexte extérieur, lui, a grandement changé, il s’est durci. Et les termes relatifs à ce durcissement sont monnaies courantes : rationalisation, normalisation, standardisation, planification, optimisation, budgétisation, régularisation, autant de mots pour expliquer que le contexte est gris, morose, et qu’il privilégie une tendance à l’homogénéité et à l’adhésion, je dirai même à l’adhérence des personnes à ce que la société attend d’elles.

Ainsi l’on se trouve aujourd’hui en présence d’enfants et d’adolescents qui continuent à être élevés dans un cercle familial hyper valorisant de son individualité, alors que l’extérieur attend d’eux qu’ils ressemblent à tous les autres et se fondent dans la masse. Il existe de plus en plus d’enfants et d’adolescents ayant grandi dans un cadre peu contraignant alors que l’extérieur leur apparaît comme violent, leur imposant assujettissement et asservissement. L’on se confronte aujourd’hui à des jeunes décrocheurs, dépressifs, apathiques, isolés, totalement en opposition avec le profil de jeunes en rébellion, à la limite de la petite délinquance que l’on rencontrait systématiquement il y a encore peu de temps.

Alors qu’il y a encore 10 ans, les jeunes en désaccord avec le système avaient tendance à s’exprimer ouvertement en se révoltant contre et dans l’espace public, de plus en plus d’adolescents d’aujourd’hui fuient ce même espace public en s’enfermant et en s’isolant dans la sphère familiale.

Date : 2022-05-20 00:00:00

Par : valerie